Nouvelle vie

Publié le 7 Novembre 2014

        Au-delà de toute carte, de tout tracé et de toutes pensées se trouve une île. Personne – de la garde personnelle du roi, de la compagnie des explorateurs ou de la populace – n’a jamais osé voguer aussi près d’ici ; que dis-je, n’a même imaginé son existence. La vie fourmille pourtant sur ce caillou perdu au milieu des vagues : dans la cime des arbres, proche du sol, au milieu des buissons, sur les imposants murs d’anciennes ruines de pierre, dans les champs et les rivières, et même sous la terre. Ici, vous pouvez découvrir des êtres tantôt filiformes, tantôt rabougris. Certains de milles couleurs chatoyantes, d’autres camouflés dans le feuillage ou les rochers. Possédant de longues ailes, des carapaces incongrues, des cornes aux formes diverses et variées, des yeux d’innombrables couleurs, des minuscules pattes, des ventres rondouillards, trois rangées de dents ou bien des becs, ou encore des plumes soyeuses aux éclats de l’arc en ciel.

 

        Certaines des créatures sont dotées de parole et forment des clans, des familles et des citées. D’autres sont agressives et ne cherchent qu’à vaincre. Enfin, il y a les solitaires, vivant pour eux, au plus profond de la nature. Parfois, il arrive que l’on entende le chant guttural des Aurocks. Forts d’une carrure imposante et des poils drus et secs, dressés sur leurs sabots aussi imposants que de jeunes troncs, leurs voix portent au-delà des collines verdoyantes. Ils arborent de longues cornes peintes en orange, rouge ou bordeaux. Leurs yeux ressortent dans la nuit telle des émeraudes d’une boule de poils géante. C’est sans aucun doute le peuple le plus organisé et le plus imposant de l’île. Leur territoire s’étend du sud de la forêt de Lys jusqu’à la côté Ouest, à plus de dix kilomètres.

 

        J’ai vécu plusieurs mois au sein de leur communauté. Ils m’ont appris à chasser, à peindre comme jamais auparavant, à confectionner arc, lances, paniers de bois, barrages sur une rigole pour me baigner. Chacun de mes instants étaient occupées, et les fins de journée galopaient vers moi à vive allure. Un sommeil profond et serein emplissait mes nuits jusqu’au petit matin.

 

        Ce qui n’était pas le cas de ma première nuit : l’instant magique où j’ai découvert cette merveilleuse île. Je dois avouer que la peur me submergeait. Les poils hérissés, la sueur au front, une torche à la main droite et une dague dans la gauche. Mon petit navire venait de s’échouer sur la plage sud, troué. Je ne pouvais qu’avancer et chercher un coin douillet pour dormir. Mais ici, point de pancarte ni d’auberge : juste de la végétation qui me paraissait inhospitalière. Tout tremblant, j’ai avancé à pas feutrés, en faisant attention à chaque mouvement, à chaque son. Au bout de quelques heures, assoiffé et affamé, j’abandonnais tout espoir, perdu sur ce caillou marin. J’ai éteint la torche, posé mon arme à portée de main, et me suis allongé sur un tapis de mousse moelleux. J’ai observé les étoiles briller, si loin de moi. J’ai esquissé un sourire : la seule action que j’étais encore capable d’accomplir. Plus aucun effroi ne subsistait en moi. Je pouvais enfin me reposer.

 

        Au lever du jour, alors que le soleil brillait de plus en plus, je me suis relevé difficilement. Mon ventre gargouillait, et je me suis senti incroyablement perdu. C’est alors qu’elle s’est approchée de moi. A l’aide d’un tendre sourire, elle baissa ma garde, et me prit les mains. Elle les déposa sur son corps et m’entraina petit à petit dans une danse. Je suivais les pas, entrant dans la danse, découvrant le voyage. De taille humaine, la mante religieuse était d’une beauté spectaculaire. Ses longs doigts vert clair veillaient à ne pas me trancher. Doué d’une aisance féline, elle me faisait tournoyer avec grande dextérité. Tout en dansant, elle m’expliqua ce que je venais de trouver : la terre des Autres. Non humains mais pas moins beaux. Ma vision du monde s’était brisée.

 

        Depuis, je ne suis jamais reparti sur le continent où règne le chaos, la manipulation, la guerre et l’espoir d’un monde meilleur. Je voyage entre les espèces, découvrant chaque jour de nouvelles créatures, plantes et rochers. J’apprends à vivre, à me battre pour survivre, à communiquer. Dessinateur, diplomate, historien, archéologue, géologue, architecte et combattant : voilà qui je suis. Mais plus encore que cela, je suis vivant et heureux, sur cette île, minuscule caillou non répertorié.

 

        Venez avec moi, et …

 

Bienvenue à Isejin !

 

Daënor

Nouvelle vie

Rédigé par Etienne Charleux

Publié dans #Ecrit du jour

Commenter cet article