Nuage galactique - 2

Publié le 30 Octobre 2014

        Une délicate mélodie dansait au creux de mes oreilles. Les notes voletaient, les sons s’étiraient, les voix s’élançaient. J’observais la foule : tempête de cris, de sauts et d’acclamations. Le visage des gens était marqué d’espoir, de joie et de peur. Des enfants, des parents, des soldats, des hommes d’affaires, des stars. Daisuke était tendu, les muscles raidis. Il fixait la jetée, puis le vaisseau, encore recouvert d’un immense voile blanc. Evelyne, quant à elle, toujours naturelle, jetait des baisers, des saluts, des sourires. Moi, J’avançai, machinalement, sur la longue passerelle de fer. J’écoutais London Grammar, si simple, si juste. Je ne pensais qu’à la suite. Aucun visage reconnaissable. Aucune chance de savoir. Aucune issue pour s’échapper.

 

        Trouver les commanditaires de notre mort étant impossible, je décidai de lâcher prise un moment. Tout en avançant, mon regard se déposait sur cette nature environnante. Ses hauts arbres, majestueux êtres qui recueillaient la neige fraiche, ployaient pour paraître charmants. Le soleil pâle d’hiver traversait les langues nuageuses du ciel hivernal, et nous réchauffait autant l’esprit que le corps. Je contemplai des mouvements lointains, dans une forêt qui nous verrait disparaitre. Sortant de ma rêverie, je m’aperçus que nous étions arrivés à la fin de cette interminable passerelle. Je retirai mes écouteurs, et me délectai du silence qui venait de tomber sur l’assistance. Tout le monde retenait son souffle. D’un geste théâtral, des soldats firent tomber le voile sur notre cercueil spatial.

 

        Je revêtis mon regard d’enfant pour admirer le majestueux navire intergalactique. Epousant la forme d’un aigle, sa structure composite lui procurait une incroyable prestance. D’une couleur cuivrée pour la coque et bleu azur pour les vitres. Je me rêvais déjà pilote émérite. Les ailes de l’appareil soutenaient plusieurs batteries de missiles et des mitrailleuses lourdes. Des armes se trouvaient également sous le cockpit, mais leurs fabrications m’étaient inconnues. Sa forme élancée correspondait parfaitement à sa taille raisonnable, malgré les deux puissants réacteurs situés à l’arrière, et protégée par des longues plaques incurvées. Elégantes et affutées, ses arrêtes étaient tranchantes comme des lames de rasoirs. Enfin, les principaux drapeaux terriens étaient peints sur les flancs de l’appareil. Deux soldats, un officier – général, au vu de ses insignes – et une équipe de photographes accrédités nous attendaient à l’entrée du vaisseau. Je sentis mes amis se crisper à l’approche du groupuscule tout sourire.

 

        L’officier, l’air honnête, nous souhaita à tous bon courage – de la part de l’Humanité toute entière – puis nous demanda de prendre la pose des futurs héros que nous allions devenir. Il ne croyait pas si bien dire. Sans un mot entre nous, nous fîmes les acteurs un court instant, main sur les épaules, torses bombés et l’air ravis. Les flashs nous aveuglèrent intensément. Mes yeux eurent beaucoup de mal à rester ouverts après s’être fait irradier, et des larmes m’aveuglèrent par la suite. Quelques instants plus tard, le point de non-retour était atteint pour nous trois, installés dans la cabine de pilotage. La porte verrouillée, le ponton s’éloigna lentement de notre position, nous laissant bientôt libre de voler.

 

 

        Le tableau de bord était magnifique. Des lumières, des boutons poussoirs, des jauges, des visuels numériques, plusieurs écrans de contrôle, différents outils de communication et trois sièges de pilotage, le tout revêtant apparence très futuriste. Avant toute chose, nous mirent nos masques à gaz – ceux récupérés par Daisuke – et nous armèrent. Ensuite, il nous restait à décoller de la Terre pour y revenir, le plus vite possible. Les premières manœuvres furent délicates, mais à la troisième tentative, Evelyne fit décoller notre vaisseau avec grâce. Dehors, j’apercevais la foule qui applaudissait et sautait de joie. Les soldats avaient du mal à contenir le flot de journalistes et leurs caméras. Etrangement, je ne ressentais pas du tout la pression environnante, et le confort était excellent. Daisuke commençait à fouiller la soute, fusil au-devant, pour intercepter nos tueurs. Notre commandante semblait tout gérer, tout en surveillant l’émission de la vapeur censée nous faire voyager au pays des songes. Je décidai de rejoindre le japonais. Notre habitacle était composé de quatre pièces assez vastes : la salle de pilotage, sur l’avant ; le sas de dépressurisation, au centre ; la soute et la salle de largage, sur la queue ; et enfin la salle des machines et des réacteurs au niveau inférieur. Je rejoignis mon ami dans le sas. Rien à signaler à l’arrière.

 

        Des secousses se firent ressentir, et je me maintins à une paroi de la pièce. Des bruits de pas résonnèrent dans l’escalier. Nous nous mirent en position de tir : vue sur la trappe et à couvert de quelques caisses ramenées de la soute. Un cliquetis sourd nous donna le signal. Daisuke cria dans sa langue natale. L’homme cagoulé fut aussi surpris que moi, et la balle ne se fit pas attendre. Son cri retentit et il perdit l’équilibre en même temps que sa main. Il roula dans l’escalier, emportant son collègue, au courant de nos intentions. La tension montait et je me concentrais au maximum. Je ne savais pas combien ils étaient, mais je gardais le fusil en position. J’espérais que nos agresseurs voulaient rester en vie : cela leur éviterait de tous nous faire sauter.

 

        Les cris lancinants du blessé pourfendaient notre calme autant que nos oreilles. Cela faisait déjà plus d’une heure qu’il jurait depuis la salle des machines, et que son collègue – apparemment seul – ne pointait pas le bout de son nez. La situation semblait irrémédiablement bloquée. J’essayai d’entrer en communication et de leur demander de déposer les armes. Je ne m’approchais pas trop près de la trappe, Daisuke me couvrant toujours. Mais mes vains efforts ne firent qu’une seule chose : empirer la situation. Evelyne s’approcha de la caisse où je m’étais assis, épuisé de ma concentration et de mon travail diplomatique.

« Nous sommes en vol stationnaire dans l’espace mes amis ! Il va falloir trouver une solution maintenant.

  • Les laisser mourir de faim ? Suggéra le japonais.
  • Ils doivent avoir autant de provisions que nous… Je pense à autre chose voyez-vous. Approchez ».

 

 

        Je leur expliquai mon plan, et, sans même poser trop de questions, ils paraissaient satisfaits. Nous étions tendus, mais cohabiter n’allait pas être possible tant que les deux parties étaient armées. Tout en gardant la cachette de l’ennemi, nous firent état des salles à nos dispositions : des vivres, des armes et des effets personnels. Une fois le rangement effectué, le vaisseau était impeccable : rien de comparable avec mon appartement. Lorsqu’Evelyne m’annonça la dissipation de l’effet nocif du gaz, je retirai mon masque avec grande satisfaction. Mais la fatigue avait pris le dessus, et il était temps de dormir. Je me glissai délicatement sur un lit sorti d’un compartiment. Le confort me surprit. Je pus enfin fermer les yeux et me calmer. La journée avait été longue et éprouvante. Respirant calmement, j’apercevais du coin de l’œil mes compères, installés dans leurs lits. Le silence s’installa dans l’appareil, et, tour à tour, le sommeil vint nous chercher.

 

        La trappe s’ouvrit. Personne. Un homme d’une carrure athlétique apparut, poignard en main. La cagoule masquait l’intégralité de son visage, à l’exception de son sourire sadique.

 

Daënor

Nuage galactique - 2

Rédigé par Etienne Charleux

Publié dans #Nouvelle

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